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Nous avons également publié cet article sur le portail de la communication en Rhône-Alpes Intermédia
Le dossier de l’écotaxe qui occupe ces derniers jours une large part de l’actualité nous donne à décortiquer un bien bel exemple de paravent médiatique. Et pourrait au passage inciter à la modestie bien des pourfendeurs de la communication gouvernementale… Car avec le dossier Ecomouv, c’est bien un coup de maître technique que viennent de réussir Jean-Marc Ayrault et son équipe pour faire oublier une énième reculade. Entendons-nous bien, nous nous situons, comme toujours ici, dans une simple logique de regard et d’analyse du débat d’opinion, de ses acteurs et de ses mécaniques, et ne portons aucun jugement de fond sur la légitimité politique de l’écotaxe et de sa collecte. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la façon dont a surgi dans l’agenda médiatique ce merveilleux recours Ecomouv en dit long sur la pauvreté et la caricature de notre démocratie d’opinion.
Car si pour pacifier des bonnets rouges excédés, on se contente d’agiter une muleta, et un chiffon tout aussi rouges, on peut certes parvenir à détourner l’attention vers quelques bouc-émissaires, mais en aucun cas apporter une pierre solide à notre débat public. Retour sur une bien peu glorieuse séquence de mystification.
De quoi parlons-nous ? D’une taxe poids lourds dont le principe avait été acté lors du Grenelle de l’Environnement, et qui faisait jusqu’ici figure de parfait consensus droite-gauche. Certes, un candidat malheureux à l’appel d’offres avait intenté différents recours au Tribunal Administratif en 2011 à l’époque de la désignation d’Autostrade, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, en personne – et ce n’est quand même pas rien -, conclut à la validité de la procédure. Dans le même esprit, lors de débats récents au Sénat comme à l’Assemblée, rien ne semblait remettre en cause le principe et les modalités, et notamment le coût, du partenariat avec Ecomouv. Justifiant au passage des ratios de gestion élevés mais comparables à nos voisins, une fois rapportés au nombre de poids lourds et de kilomètres concernés notamment.
Bref tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes de la bonne conscience environnementale partagée. Les quelques velléités contestataires marginales sur le principe même de la taxe avaient d’ailleurs été savamment anesthésiées dans l’œuf par la promesse de reverser une part non négligeable de son produit aux collectivités locales. La question de la compétitivité de certaines filières ou de certaines régions – au premier chef celles peu concernées par le trafic de passage – ne pouvait définitivement rivaliser face à l’épouvantail des affreux poids lourds qui n’auront jamais, dans l’inconscient collectif, la puissance poétique d’une vieille péniche diesel.
Et puis voilà que ce merveilleux consensus politique et citoyen vient se briser sur le désespoir de bonnets rouges désespérés, dont la colère redessine en quelques coups de baguette magique toute la carte politique. Et là, le naturel revient au galop. Grandes amnésies, petites lâchetés et furieuses caricatures occupent subitement le devant de la scène. Revoyez vos classiques, désormais, le diable ne s’habille plus en Prada, mais en Benetton, famille italienne propriétaire d’Autostrade, pilote et actionnaire majoritaire d’Ecomouv. Nul ne saura peut-être jamais quel tacticien de génie aura soufflé au gouvernement l’idée de braquer la poursuite sur l’opérateur de collecte, mais reconnaissons qu’elle aura été lumineuse… et surtout très efficace. Florilège.
Ministres, édiles socialistes et écologistes tirent les premiers. « Ce contrat prévoit une rémunération annuelle de 250 millions (…) 250 millions de recettes par an pour cette société ! Et cet accord a été signé le 6 mai 2012 par les responsables du précédent gouvernement. Que chacun se rappelle ses responsabilités ! » a ainsi lancé Jean-Marc Ayrault. D’autres snippers de la majorité ont enchaîné : « Les clauses financières assorties au marché suscitent beaucoup d’interrogations » (François Rebsamen), « Il faut dénoncer ce contrat » (Eva Joly), « Un scandale d’Etat » (François-Michel Lambert).
Quelques sommités UMP, trop contentes de régler au passage quelques comptes internes, tombent directement dans le piège. Copé, Dati et Bertrand ne peuvent notamment retenir leurs critiques sur leurs propres amis et partagent publiquement leurs doutes, avant que le premier ne se lance dans un rétropédalage aussi tardif que pathétique.
Pas vraiment d’Alternative au centre si l’on peut se permettre, avec Borloo et Bayrou demandant de concert une totale remise à plat. « Il faut absolument tout remettre à plat. Il y a plein de questions qui se posent, des questions très préoccupantes (…) On ne l’a pas vu passer (sic), ça a été voté dans l’enthousiasme, à l’unanimité mais personne n’a été consulté et personne n’a voté sur l’organisation pratique, technique, financière de cette affaire » (François Bayrou).
Au Sénat, où voici quelques semaines personne ne trouvait encore rien à redire, les élus socialistes ont annoncé demander une commission d’enquête parlementaire sur Ecomouv. Rien de moins. C’est magique.
Vous, je ne sais pas, mais moi, j’ai une profonde affection pour ces bonnets rouge, même s’ils nous flanquent une sacrée frousse rétrospective. Avec ce que nous décrivent nos politiques, rendons-nous bien compte de ce à quoi nous avons tout simplement échappé grâce à eux, et ce, à quelques jours près. Car, parmi toutes les tares supposées de cette écotaxe et des modalités de sa collecte, trois anomalies cristallisent les récriminations.
Tout d’abord un coût jugé exorbitant. Jean-François Copé, dans un grand élan de fraternité Umpéiste dont il a le secret, fustige par exemple le coût « aberrant » de la collecte de la taxe : « on ne peut pas imaginer dans un pays moderne un tel coût de collecte d’impôt quel qu’il soit ». Même son de cloche chez la Ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu : « L’écotaxe est l’impôt le plus cher du monde ». Le chiffre de 20 % de la taxe plusieurs fois rappelé se comparerait à 13 % en Allemagne, dont on vante d’ailleurs les vertus uniquement lorsque cela nous arrange, et sans dire que l’assiette de l’écotaxe outre-rhin est trois fois plus importante pour amortir les frais fixes. Et là, comme à l’accoutumée, les imprécisions le disputent aux inconsistances. Un exemple. On parle de 280 M€ par an en oubliant de soustraire les 50 M€ versés au titre de la TVA acquittée sur le loyer de partenariat public-privé et qui revient donc à l’Etat ! Le concept de rentabilité d’un investissement n’est par ailleurs pas forcément accessible à tous nos élus… Qui oublient d’évoquer l’investissement de 650 M€ par le délégataire dans cette opération, à la place d’un Etat sans le sou ! Les proches du dossier évoquent au final, après paiement des intérêts de la dette de 485 M€ et de l’impôt sur les sociétés, un résultat net annuel de l’ordre de 8 M€. Pour un investissement en capital de 165 M€, cela fait un rendement inférieur à 5% ou une marge nette sur chiffre d’affaires inférieure à 4%. Vraiment pas de quoi s’étrangler ou fouetter un chat capitaliste au demeurant.
C’est ensuite le concept même de partenariat public-privé qui s’attire les foudres de toute notre galerie politique, confondant, comme toujours service public et fonction publique. Les pays scandinaves, souvent cités comme l’alpha et l’omega du progrès dans la réforme de l’État, s’en accommodent parfaitement et avec succès, mais ne sont-ils pas tout simplement d’affreux masochistes vikings ? François Bayrou villipende ainsi le concept avec de solides références historiques, non sans un petit clin d’œil prérévolutionnaire qui ne mange pas de pain mais a bien peu à voir avec les contours de la modération centriste : « ce contrat est bizarre car depuis les fermiers généraux de la monarchie et de l’Ancien Régime, il est très rare que l’on donne 20% au collecteur d’impôt (…). Il y a là des interrogations sur le mécanisme qui a été suivi pour ce contrat léonin, qui soumet la puissance public à des intérêts privés ». Xavier Bertrand, autre bon camarade UMP, est encore plus explicite : « Un impôt, je suis désolé, il doit être collecté par l’Etat ».
Au-delà d’une confusion béante entre impôts et taxes, certains de nos élus semblent oublier que l’État est loin d’être le seul collecteur en la matière ! Les chambres consulaires, d’agriculture et de commerce, collectent des taxes depuis des décennies. Et que dire des buralistes ou des pompistes, qui drainent chaque jour dans leurs caisses plus de taxes sur les cigarettes ou l’essence qu’ils ne réalisent de chiffre d’affaires… et ne parlons même pas de la TVA… Dans cette période de disette d’argent public, la vraie question serait donc plutôt de savoir si ce service de collecte de l’écotaxe peut être ou non réalisé plus efficacement par une société privée que par des équipes de la fonction publique. En comparaison, l’exploitation des radars automatiques rapporte 613 M€ à l’Etat mais lui coûte plus de 210 M€, ce qui revient à un ratio de 34 %… Notons également que la mise en place de l’écotaxe a déjà justifié la constitution par les Douanes d’une équipe de contrôle dédiée de 130 agents publics, basée à Metz comme la plateforme d’Ecomouv. La fonction publique n’est donc pas totalement absente de ce processus de service public.
Enfin, et c’est peut-être bien là que ces gesticulations politiques inquiètent le plus, l’organisme auquel revient la charge de collecter l’écotaxe est non seulement onéreux et privé, mais il est de surcroît… étranger. C’est vous dire si c’est suspect. Des sociétés françaises sont bien, de leur côté, impliquées dans la collecte de l’équivalent de l’écotaxe en Allemagne (Cofiroute / Vinci) ou en Slovaquie (Sanef) par exemple, mais là, nous parlons de notre territoire, ce n’est pas pareil…! Et sur ce terrain, à la fois glissant et pour tout dire légèrement puant, Pierre Moscovici et Rachida Dati unissent opportunément leur charisme. « On peut s’étonner du fait qu’on ait délégué la collecte d’une taxe nationale à un fournisseur d’origine étrangère » (Pierre Moscovici). « Je n’étais même pas au courant de cette signature de contrat avec une entreprise en charge de collecter l’impôt (re-sic). Cela me surprend, pour ne pas dire plus, qu’une entreprise privée et étrangère soit déléguée ou en charge de collecter l’impôt en France » (Rachida Dati).
Alors évidemment, avec des saillies de ce type, on excite les instincts les plus nobles de certains de nos compatriotes, dont les forums se font un miroir à peine grossissant. Pour preuve et puisque Ecomouv est piloté par des intérêts italiens, je relève ce post savoureux dans le forum du Monde.fr… « Qui sont les actionnaires d’Autostrade ? Mme Bruni n’aurait-elle pas des actions dans cette entreprise? Rien n’est moins sur…………….. ». Mais oui mais c’est bien sur… La boucle est bouclée, et la théorie conspirationniste est décidément toujours aussi porteuse.
L’avenir nous dira quelle sera la portée de l’écotaxe, si elle survit, et nous éclairera sur les conditions d’attribution du marché à Ecomouv comme sur l’évaluation de sa performance au regard des sommes collectées. A ce stade, nous ne pouvons qu’être des témoins médusés de ce retournement de veste diagonal sur notre échiquier politique. Des observateurs interloqués du culot de nos édiles politiques et de l’immaturité de notre démocratie d’opinion. Des citoyens frustrés de l’instrumentalisation de la colère bretonne et de la confiscation d’un beau débat sur la fiscalité écologique. Mais des spectateurs admiratifs de ce bel écran de fumée communicationnel !
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« Un bon politicien est celui qui est capable de prédire l’avenir et qui, par la suite, est également capable d’expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme il l’avait prédit. » – Winston Churchill
« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » – Henri Queuille
« Les conneries c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer. » – Michel Audiard